L’apprentissage entre pairs ou “pairagogie” ou encore peer to peer learning pourrait à nouveau séduire les entreprises. Outre ses avantages pédagogiques intrinsèques, pour les directions RH et L&D ce serait aussi l’opportunité de (re)donner du sens au travail dans un monde de plus en plus VICA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu) et de resserrer le lien social et cognitif entre collaborateurs. Nous apportons aujourd’hui une réflexion sur 7 principes ou “piliers” qui nous semblent fondamentaux avant d’engager des collaborateurs dans cette démarche, assez exigeante si l’on veut en faire un réel acte d’apprentissage collectif.
Qu’est-ce que le « Pair à Pair » ?
La finalité de l’apprentissage entre pairs, c’est le « partage ». Cet apprentissage repose sur des principes proches de ceux des pédagogies co-actives ou inversées.
Différents angles sont possibles pour « animer » des pairs, par exemple :
- co-développement,
- techniques réflexives collectives inspirées de l’AFEST,
- méthodes issues des démarches d’amélioration continue,
- etc.
Les bénéfices mis en avant sont nombreux :
- des apprenants davantage acteurs,
- une meilleure compréhension et mémorisation des sujets,
- un meilleur ancrage de connaissances grâce à un “encodage émotionnel” (expérience d’apprentissage souvent marquante),
- un transfert des connaissances facilité,
- etc.
Le peer-learning au quotidien est aujourd’hui très en vogue auprès de certaines directions L&D car il permet de faire en sorte qu’à tout moment des collaborateurs puissent partager leurs savoirs et s’enrichir de celui de leurs pairs.
L’apprentissages entre pairs n’est pas vraiment récent : Eric Mazur professeur de Physique à Harvard l’a modélisé par ex. en 1991 dans son ouvrage Peer Instruction : A User’s Manual. Cliquez ici pour en savoir plus. S’il n’a pas encore tout à fait pris sa place dans les entreprises, notre hypothèse est qu’il y a probablement des principes ou pré-requis à consolider…
7 piliers à consolider !
Nous avons repéré 7 principes fondamentaux ou piliers pour que l’apprentissage entre pairs fonctionne de manière optimale et pas uniquement lors de séances “organisées”. Ces 7 piliers sont aussi utiles à toute personne souhaitant s’engager dans cette démarche de façon autonome.
Prise de conscience : dans un premier temps, la personne doit d’abord repasser du stade “je ne sais plus que je sais” au stade “je sais que je sais et je peux en parler”.
Chez C-Campus, nous travaillons par exemple avec un grand client sur un projet d’atelier où les participants, à l’aide d’une matrice d’auto-questionnement, réalisent une carte mentale de leurs savoirs et compétences transmissibles
Nécessité de l’effort et de la répétition : un savoir, un talent n’est réellement ancré qu’à force de travail (d’efforts) et de répétitions : les grands artistes, les meilleurs sportifs passent leurs journées à répéter et s’entrainer ! Le grand athlète jamaïcain Usain Bolt le dit avec simplicité : “J’ai travaillé dur pendant ces années, j’ai été blessé et j’ai travaillé encore plus dur, et je l’ai fais.” Cette phrase pleine de bon sens et d’humilité doit interpeller les pairs : rien n’est jamais acquis définitivement !
Acquisition d’automatismes : les neurosciences confirment que la “supériorité” de ceux qu’on qualifie “d’experts” par rapport aux “novices”, vient de leur capacité à développer des automatismes et à mettre ainsi leur cerveau au service d’autres opérations mentales “supérieures”. Cela peut sembler paradoxal, mais l’apprentissage entre pairs suppose que chacun d’entre eux soit aussi capable de résister à ses automatismes (selon les travaux d’Olivier Houdé, chercheur en psychologie)
Sauter d’une mission à une autre sans en tirer un enseignement, “faire et vivre des choses” sans prise de recul, tout cela n’est pas favorable aux apprentissages (et encore moins à partager avec ses pairs). Il faut donc développer une pratique “réflexive”.
Chez C-Campus nous proposons par exemple aux tuteurs, formateurs, accompagnateurs, référents AFEST, managers d’équipe apprenante, etc. que nous formons, 3 méthodes réflexives simples :
- En amont de la pratique : la méthode R.I.E.C.
- Pendant la pratique : l’observation “réfléchie” avec la méthode A.D.A.
- En aval de la pratique : la méthode F.A.S.T.
Jean-Marc Jancovici, personnage assez médiatique par ses prises de position sur les stratégies de décroissance, répète régulièrement qu’il est impossible de trouver une solution adéquate à un problème mal défini ! On reconnait bien là l’ingénieur polytechnicien…
Les avancées des neurosciences corroborent son propos : notre cerveau est soumis à un certain nombre de biais cognitifs, dont il faut se préserver.
A retenir :
- primo : chaque pair exposant un problème doit procéder avec rigueur :
par exemple, ne pas occulter certaines données,
ou omettre de relier le problème à une globalité plus large… - secundo : chaque personne écoutant un pair exposer sa problématique, doit veiller à ne pas être davantage influencé par le contexte du problème que par ses données objectives !
- tertio : chacun doit conserver un esprit critique en toutes circonstances, y compris sur lui-même !
Pour embarquer ses pairs dans son sujet, la conviction, l’enthousiasme et la… pédagogie sont indispensables.
Illustration dans des formations C-Campus : nos intervenants travaillent avec les participants, par exemple sur : “comment réussir ses explications flash en s’appuyant sur 12 règles d’or de l’explication pédagogique”
La réduction à un seul modèle de peer to peer learning, (la grande réunion rituelle entre pairs) finit par lasser ou ronronner. Donnons à voir aux pairs différentes possibilités et modalités pour “apprendre ensemble” :
- En “one to one” : Tutorer un alternant – Parrainer un nouveau collègue – Devenir mentor ou Pratiquer un mentorat inversé – Se binômer avec un collègue aux compétences complémentaires, etc.
- En “one to many” : Participer avec ses pairs à un groupe de partage des pratiques ou de prospective (méthode que nous utilisons parfois au sein de notre Club des Certifiés C-Campus) – réaliser à plusieurs une cartographie de processus – animer un exposé interactif auprès de pairs, etc.
Une séance d’apprentissages entre pairs fait (normalement) l’objet d’une synthèse diffusée aux pairs, dans le but que chacun relise et apprenne.
Hélas, la simple relecture est l’une des stratégies les moins efficaces pour l’apprentissage à long terme.
Dans le modèle simplifié de Weinstein & Mayer (deux universitaires et spécialistes en psychologie de l’éducation aux USA), les stratégies d’apprentissage sont classées en fonction de leur « profondeur ».
- Les stratégies de répétition (par ex. relire la synthèse de la réunion des pairs) sont… superficielles,
- les stratégies d’organisation (par exemple : structurer les informations reçues des pairs en les résumant en points clés, dessiner des schémas récapitulatifs ou des cartes mentales pendant l’exposé d’un pair etc.), sont un peu plus profondes mais pas optimales,
- enfin les stratégies d’élaboration (créer des analogies avec ses propres connaissances ou pratiques, répondre précisément et complètement aux questions de ses pairs, reformuler les propos de ses pairs en faisant référence à sa propre expérience, etc.), qui sont… vraiment profondes car amenant à créer du lien entre les informations qu’on apprend et ses propres connaissances antérieures !
Conclusion : plus les pairs développent des stratégies profondes d’apprentissages, plus ils seront efficaces. Répétons -le : apprendre demande de l’effort – allouons donc du temps aux pairs pour qu’ils apprennent !
Illustration : chez C-Campus dans nos parcours de formations certifiant (“référent AFEST” par exemple) nous incitons fortement nos participants à utiliser des “stratégies d’apprentissage élaboratives”. Nos cours digitaux des parcours sont d’ailleurs conçus en ce sens.
Donner à ses pairs et recevoir de ses pairs, c’est bien. Il faut aussi savoir se ressourcer, consolider les apprentissages reçus et continuer à apprendre, en allant chercher de la connaissance ailleurs !
Pour cela, nous avons identifié différentes démarches, au choix des individus, par exemple :
- Mettre à jour ses connaissances :
Tenir une veille sur le domaine qu’on vient de découvrir grâce aux pairs – lire d’autres sources sur le sujet exposé par le pair (lire pas relire) – réaliser un Benchmark des différentes pratiques reçues des pairs – s’abonner à une newsletter, etc. - Apprendre des autres :
Participer à des conversations apprenantes (ou causeries pédagogiques) avec d’autres pairs – réaliser un “vis ma vie” avec un pair – contribuer à un groupe de résolutions de problèmes entre pairs – donner du feed-back à un pair sur sa pratique (on y apprend soi-même) et vice-versa recevoir du feed-back sur sa propre pratique, etc.
Pourquoi le peer to peer learning pourrait redevenir « à la mode » ?
Son retour en force dans les entreprises, pourrait être facilité par la technologie.
Diane Lenne, fondatrice de WAP avec qui nous avons échangé récemment, propose par exemple une « plateforme » pour animer selon une démarche “appréciative”, des groupes de pairs, durant 2 heures environ, en vue de produire un « livrable collectif ». Nous vous en dirons plus car Diane nous invite à tester prochainement la démarche.
D’autres raisons pourraient motiver les directions RH et L&D à proposer cette approche renouvelée à leurs « collectifs de pairs » :
- Raison n°1 : l’intérêt économique
Le coût de préparation et d’animation du peer to peer learning , dès lors qu’il est géré en interne, est relativement modique.
Le coût des solutions évoquées plus haut dans les 7 piliers est… nul : il s’agit tout simplement pour les pairs d’adopter des disciplines personnelles de rigueur et de curiosité dans leur travail ! - Raison n° 2 : l’envie de revenir dans la « vraie vie »
Durant plus de 2 ans, nous avons vécu : confinements, mesures de distancialisation, des formations essentiellement en classe virtuelle, etc. Il semblerait que nous soyons nombreux à vouloir aussi nous retrouver IRL « dans la vraie vie », pour partager et apprendre !
- Raison n°3 : les limites des virtual communities
Les résultats des virtual communities – communautés métiers / de pairs en ligne ou virtuelles sont assez mitigés. (Hormis bien sûr chez certains « profils » qui naturellement fonctionnent en “réseaux multiples” : geeks, certains « jeunes », certains ingénieurs…)
On y constate parfois peu de contributions ou… de partages et aussi une absence de réflexions profondes et structurées on line. La cause est-elle un mauvais usage en continu des réseaux sociaux ? Une surcharge “d’écrans” ? Un profond désir de se retrouver dans le réel ? (La communauté virtuelle n’étant qu’un “apéritif”, donnant envie de se rencontrer et d’approfondir “en vrai” ?)
En attendant que l’IA nous aide tous à réfléchir en communautés virtuelles (ce n’est pas pour tout de suite…) l’apprentissage entre pairs représente une alternative sérieuse pour explorer en profondeur les problématiques.
Apprendre avec ses pairs, c’est au fond comme en formation en général, l’opportunité de “se poser” pour se parler et de “se pauser” (se sortir du flux de l’activité) pour bien réfléchir et apprendre ensemble !