Marocains à Brest, marocains de Brest - Diversité et marocanité composite
Après le premier Café anthropologique Ici et là-bas d’octobre 2014 intitulé « Un autre Maroc vu à travers ses femmes », l’association Brest Maroc entre 2 Rives (BM2R) proposait en juillet 2017 (voir l'affiche ci-dessous), de s’interroger et de débattre sur l’histoire, les conditions culturelles, économiques et sociales de l’immigration marocaine à Brest, à travers une lecture partagée de sa diversité (marocains de la 1ère génération, des générations suivantes, étudiants de passage, régions d’origine, mariages mixtes, nationaux, bi-nationaux…).
Au-delà d’un tableau objectif, à la limite des statistiques disponibles, la question complexe en débat est celle de la notion de marocanité, à travers l’immigration. Comment la définir ? Quelles en sont ses valeurs constitutives identitaires, ses composantes principales communes et les liens sociaux liés ? Qu’est-ce qui fonde, et dans quelles circonstances, le sentiment d’appartenance (l‘assabiya d’Ibn Khaldoun) et son besoin ? Comment est-elle perçue par les autres brestois ? Quelle est la visibilité de la communauté marocaine brestoise dans la société civile et le vivre-ensemble ?
Quelles images du Maroc et du peuple marocain sont ainsi véhiculées en confrontation de celles qu’ont en général, les uns et les autres, dans leurs représentations et leur vécu ?
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Marocains à Brest, marocains de Brest - Diversité et marocanité composite
[ NB : La notion de "société composite" est employée ici en référencer à feu le sociologue Paul Pascon qui l'inventa : cf. entre autres dans l'article "Segmentation et stratification dans la société rurale marocaine", accessible à partir du lien https://journals.openedition.org/sociologies/4326 ]
Comme annoncé précédemment ci-dessus, le vendredi 6 octobre 2017 l'Association Brest-Maroc entre 2 Rives (BM2R) a animé par l'intermédiaire de votre serviteur, Christian Potin[1], son 5ème café-débat anthropologique "Ici et là-bas" à la librairie DIALOGUES de Brest sur la question « Comment peut-on être marocain à Brest ? »
La réunion réunit une quarantaine de personnes, dont 6 (4 étudiantes et 2 hommes) "représentant" la communauté d'origine marocaine à Brest. Elle ne put faire malheureusemen dans ces conditions l'objet d'un débat ouvert. Ce, malgré l'exposé-questionnement de l'animateur et la distribution d'un questionnaire-aide à la réfleion (fourni ci-après en lien annexe),.Les interventions du public se réduisirentt en fin d’exposé de l'animateur à quelques timides questions de l'assistance non marocaine, tandis que les quelques marocains.e.s présents intervinrent peu. Ce qui est quelque part lourd de sens en soi ..
Après une brève introduction, la réunioin, qui dura près d'une heure, a quand même révélé l'intérêt et la curiosité des brestois présents pour le sujet. Pour mieux connaitre et comprendre la richesse, la complexité et la "géométrie variable" dans le temps et dans l'espace social, de l'identité culturelle, de la notion de marocanité, de l’histoire, la culture, les institutions et le patrimoine immatériel du peuple marocain dans son authenticité et sa diversité en devenir, au-delà :
- des clichés touristiques d'hier et d'aujourd'hui, certains datés, hérités plus ou moins consciemment de l’époque coloniale ;
- des contre-images véhiculées parfois dans l'actualité internationale ;
- et, de la discrétion de la communication de la diaspora marocaine à Brest, quelque peu dans le repli sur soi pour le vivre-ensemble brestois ...
Cet objetif de mieux faire connaître et valoriser la culture marocaine à Brest était bel et bien un des deux objets principaux de l'association BM2R, l'autre étant, secondairement dans un deuxième temps de développer des actions et petirs projets et actions solidaires, pour les groupes sociaux défavorisés ou en difficultés, ici et là-bas ... Ces objectifs se révélèrent bien utopiques et l'association dut se mettre en veilleuse fin 2017, faute d'adhérents de la communauté marocaine brestoise, du principe de stricte laïcité de l'association, du peu de brestois d'origine intéressés, et au bout du compte du désintérêt de la municipalité brestoise et de son collectif d'associations d'aide internationales, ...
En résumé introductif l'INSEE recensait à Brest au 1er janvier 2016 quelque 1081 marocains nés au Maroc, dont 43% de femmes, 35% d'actifs ayant un emploi, 20% de chômeurs, 33% d'ouvriers et employés, 15% de cadres et professions intermédiaires, et intellectuelles supérieures. 777 personnes avaient la nationalité marocaine (sans recenser le nombre de "binationaux", ni le nombre de personnes nées en France dont la famille est d'origine marocaine).
En ce qui concerne le nombre d'étudiants marocains à Brest, échappant en partie au recensement (nouvelle méthode des quotas annuels), le nombre fourni par l'INSEE de quelque 136 est visiblement sous-estimé par rapport au fait de leur non résidence permanente sans doute? Un chiffre plus près de la réalité selon nos estimations personnelles serait plutôt de l'ordre de 300/400 ? (A préciser au niveau du CMI de l'UBO).
Bref aperçu chronologique sur l’histoire de I’immigration marocaine en France
L'immigration marocaine en France est un phénomène ancien. C'est vers 1910 que l'on peut situer le début du mouvement migratoire des Marocains vers la France entre 1914 et 1918, la France comptait déjà plus de 15 000 travailleurs marocains. L'immigration marocaine en France n'a connu son ampleur importante qu'à partir des années 1970. L'arrêt de l'immigration décidé par le gouvernement, l'échec de la politique des retours et le recours au regroupement familial amorcé dès 1974, ont contribué à la transformation du mouvement migratoire marocain en France.
On peut distinguer trois grandes périodes migratoires civiles des Marocains en France, (en dehors des deux guerres mondiales qui mobilisèrent des troupes conséquentes d’origine marocaine) :
- La première période se situe entre les deux guerres. Il s'agit des premières tentatives de l'immigration collective organisée. Cette période a été caractérisée par une immigration de contingents composés de travailleurs, recrutés sur contrats, affectés principalement pour une durée temporaire aux usines d'armement, aux mines et aux secteurs agricoles. Ce n'est qu'en 1938 que fut créé au Maroc un service d'émigration pour assurer la sélection, le recrutement et l'acheminement des travailleurs marocains vers la France3.
- La deuxième période est celle de l’appel de main d’œuvre industrielle et minière organisée par la France. Elle commence dès le lendemain de la deuxième guerre mondiale (les Trente Glorieuses) jusqu'à l'arrêt de l'immigration décidé par le gouvernement français à cause du ralentissement de la croissance économique au début des années 1970. Il s'agit principalement alors d'une immigration temporaire de main d'œuvre, composée d'hommes seuls souvent hébergés en foyers de travailleurs (la "belle époque" de la SONACOTRA).
- La troisième période, couvre la période de 1974 à nos jours. En 1974, le ralentissement de la croissance économique conduit le gouvernement français à décider l'arrêt de l'immigration appelée, sauf dans le cadre du regroupement familial et de demandes spécifiques émanant d'employeurs. L'échec de la politique d'aide au retour mise en place par le gouvernement, et la crainte des difficultés de revenir en France poussent les immigrés marocains installés en France, à prolonger leur séjour et à faire venir leur famille. C'est à partir de cette date charnière que l'immigration marocaine va connaître des mutations profondes dans sa structure, sa composition, ses difficultés, ses revendications, son évolution, etc.
Brest en particulier, et la bretagne en général, à l’exception relative de la ville de Rennes à travers son emploi industriel, ne sont pas et n’ont pas été dans l'ensemble des territoires d’appel de main d’œuvre marocaine immigrée, vu ses caractéristiques d’emploi dominant dans le secteur agricole et tertiaire, d’une part et l’abondance de sa main d’œuvre « native » d’autre part. (cf. ci-dessus et détails ci-après dans les tableaux statisrtiques INSEE). En revanche on ne dispose pas de statistiques de personnes résidant à Brest d’un ou deux parents marocains , ni ceux ayant la double nationalité.
En première estimation très grossière, en se tablant sur le nombre de personnes de sexe féminin, on peut penser que le nombre total de brestois nés au Maroc ou issus de la 1ère ou 2ème génération entre 2000 et 2500 personne, étudiants non comptés, soit moins de 2%. L’immigration marocaine à Brest a commencé ponctuellement pendant les années 60-70. Elle a ensuite bénéficié également du regroupement familial comme l’indique un sexe ratio de 43% de sexe féminin. Il s’agit en majorité d’une population d’employés dans le tertiaire (ouvriers du BTP, employés) venue principalement des zones urbaines du Maroc atlantique etr du nord, avec un sous-groupe d’origine riffaine qui se distingue par ses affinités et son identité régionales..
En 2014 selon l’INSEE la population immigrée marocaine à Brest née au Maroc arrivait en tête de l’ensemble de la population immigrée née dans leur pays d’origine avec 13,9%, devant les Portugais (12,1%), puis les Algériens (8,8%), les Tunisiens 3,1% seulement, l’ensemble de la population des autres pays d’Afrique 21,4%, les autres pays d’Europe (UE et autres) 18,9% et d’autres pays 21,8%. Dans l’ensemble la population brestoise étrangère née dans son pays d’origine ne représente que 5,5% de l’ensemble, ce qui est relativement peu comparé à l’ensemble du territoire français (10% environ).
« Incursions » historiques ponctuelles marocaines anecdotiques dans le pays de Brest
On relève les « anecdotes » historiques suivantes :
Un contingent de cavaliers berbères (les Mauri osismi originaires de la Maurétanie tingitane, (dont de la fameuse grande confédération des Baquates) participe à la construction du château de Brest dans la deuxième moitié du IIIème siècle JC ; 4000 en tout dont 1500 à Brest, le reste à Vannes, une partie ayant fait souches après la chute de l’empire gallo-romain et les révoltes des bagaudes (…)[2]
Plusieurs siècles après, le 17 octobre 1681 le caïd de Tétouan, Temim, est envoyé comme ambassadeur du Sultan Moulay Ismaïl, sur le navire du Chevalier Lefebvre de La Barre. Il débarque à Brest. le 4 janvier 1682. 2 mois et demi après il est reçu par le roi Louis XIV au Château de St-Germain pour renégocier un nouvel accord qui n’aboutira pas. Les enjeux en sont la course salétine pirate et esclavagiste qui gènait la France, d’une part, et l’alliance contre l’Espagne qui posèdait, au grand dam de Moulay Ismaïl les positions de Ceuta et Mellila, d’autre part[3]
Le Sultan Moulay Ismael, caressa ensuite un projet de mariage et entama des négociations pour obtenir la main d’une fille de Louis XIV, la belle princesse de Conti. Mais qui pouvait concevoir que le farouche empereur musulman voulût épouser l’une des descendantes du plus illustre des chrétiens ? Cet étonnant épisode dans l’histoire des relations franco-marocaines eut lieu dans les dernières années du XVIIème siècle (1698), quand le Grand Sultan décida de l’envoi d’une mission diplomatique auprès du Roi Soleil chargée de conclure une alliance politique avec l’Hexagone et traiter du problème des captifs chrétiens emprisonnés à Meknès, capitale du Maroc d’alors. Cette mission, présidée par un chef corsaire salétin du nom de Ben Aïcha, débarqua le 11 novembre 1698 à Brest. Elle échoua, et Moulay Ismaël en tira vexation et rancœur.[4]
<< Au début de 1940, le ministre du travail décide d’intensifier la production. Comme une grande partie des hommes est mobilisée, l’on songe à faire appel à la main-d’oeuvre étrangère. On recrute au Maroc, notamment des travailleurs au titre d’un contrat de six mois, qui doit leur assurer logement, nourriture, soins médicaux et un salaire de 15 à 20[5] francs par jour. Débarqués à Marseille le 17 mars, une centaine d’entre eux est affectée aux “Constructions Navales” (Arsenal) et arrive à Brest le 25 mars.Cette compagnie de travailleurs est casernée dans les anciens bâtiments construits sur les bords de la Penfeld au 18ème siècle, ces bâtisses peu entretenues n’étaient pas conçues pour être habitées, bien que durant la guerre 14-18, elles aient servi d’annexe à l’hôpital militaire. Depuis cette période, les lieux étaient employés au stockage de matériels militaires divers. Les arrivants s’emploient immédiatement à rendre l’endroit plus salubre.
Ils sont encadrés sous la responsabilité du lieutenant de réserve Jean Perrigault, journaliste de talent, auteur de nombreux reportages sur le Maroc où il avait, au cours de ses voyages, acquis une bonne connaissance des moeurs, et des coutumes de la populationSoucieux du bien-être de ses hommes, dont la plupart sont très pieux, Jean. Perrigault a l’idée de doter le camp d’une mosquée assidûment fréquentée, une simple baraque aux parois peintes couleur ocre, percées de fenêtres à arc ogival. Pour la détente, un café maure, aménagé dans le style le plus pur, avec des petites tables octogonales pour les jeux de cartes, de dames et de dominos. Cet endroit se transformait certains soirs en école, Mme Perrigault enseignant le français, ou en salle de concert, un appareil radio permettant de capter Radio-Rabat. L’installation du camp ne cessait de s’améliorer. Tout allait bien, les employeurs satisfaits, les travailleurs constituaient leur petit pécule pour rentrer chez eux quand la guerre serait terminée.
Mais les événements s’accélèrent, et le 19 juin 1940, c’est la débâcle à Brest. L’employeur, les Constructions.Navales. rompt le contrat qui le lie aux Marocains, cessant le jour même de leur verser tout salaire et prime d’alimentation. Les Allemands sont là, habitués à saluer militairement, ces travailleurs civils sont pris pour des soldats et faits prisonniers et transférés emmenés au camp de Coëtquidan en Ille-et-Vilaine.
Perrigault se démène et obtient de l’occupant la libération de ces hommes, retrouvailles chaleureuses où le libérateur doit embrasser chacun, d’une double accolade …. Le 15 juillet, ils retrouvent avec joie, le camp de Kervallon, toujours debout malgré son pillage. Hélas, le 21 juillet au soir, le camp est cerné, et les Marocains emmenés au Château de Brest, captifs à nouveau. Perrigault, toujours sur la brèche, démontre l’erreur, et une fois encore les fait libérer le lendemain.
La situation financière, cette fois, n’est pas reluisante. Heureusement, une prudente gestion de l’ordinaire avait permis de constituer un “boni” de 15 000 F . C’est sur cette réserve qu’il entretenait 102 hommes. Malgré ses démarches, il ne peut obtenir la moindre indemnité de licenciement, pas plus, l’autorisation de les rapatrier. Un signe, enfin! Le 24 juillet, une réponse de Vichy. On lui intime l’ordre de rester à Brest en attendant le repli de ses protégés sur le camp de Marseille, momentanément saturé. Cette lettre promet l’envoi d’une somme de 20 000 F pour la nourriture et le paiement de la prime pour le mois de juillet.
Mais l’interruption des communications entre la zone occupée et la zone libre fut sans doute la raison pour laquelle cet argent n’arriva pas. L’infatigable Perrigault s’acharne, et parvient à se faire avancer cette somme par les C.N., ce qui permit, à ces infortunés travailleurs, d’attendre avec moins d’impatience, le retour au pays. >> [6]
Bien marocainement votre
[1] Christian POTINConsultant international (ER) - Expert agro-socio-économiste - Président de l’association Brest-Maroc entre 2 Rives – BM2R - Publicationq sur Académia.Edu : https://independent.academia.edu/ChristianPotin/Conference-Presentations
[2] « La forteresse de la légion berbère », Chap3, pages 38-55 de « Brest l’insoumise », Roger Faligot, Editions Dialogues, Brest, 2016.
[4] Ibid.
[5] [5] 1 ancien Franc 1940 est équivalent à 0,42 €uros en 2020, ce qui correspond à un salaire de 6,3 à 8,4 €uros actuels, soit grosso modo de l’ordre de moins de 10% seulement du SMIC horaire actuel, sur la base d’une journée de travai de 8 heures.
[6] Pierre Floch.in « Les échos de Saint-Pierre » n°59, novembre 1993 - D’après une série d’articles parus dans la “Dépêche de Brest” en Septembre 1940
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Pour aller un peu plus loin, on trouvera ci-après les liens des documents annexés suivant en :
- un petit recueil d'articles documentaires en ligne intitulé "Comment peut-on être marocain à l’étranger ? » QUID_DE_LA_MAROCANITE
- une questionnaire d'aide à la réflexion en commun distribuée lors du café-débat VALEURS_ET_CARACTERISTIQUES_DE_LA_MAROCANITE_A_TRAVERS_L
- un fichier excel (brut de commentaire) des dernières statistiques locales sur l'immigration à Brest fournies par l'INSEE au 1er janvier 2016 pour l'année 2014, avec pour les "marocains" (de nationalité marocaine ou nés au Maroc) une première analyse structurelle selon le sexe, l'âge, l'activité et les CSP, avec amorce de comparaisons (surlignages) avec certains autres pays et régions d'origine.IMGB_Brest_INSEE
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