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Christian Potin Consultant intermittent du Développement Inégal
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3 février 2017

COMMENT DEVENIR SEDENTAIRE EN RESTANT NOMADE ?

Impasse du nomadisme et desertification des steppes du Maghreb

(Hauts Plateaux de l'Oriental marocain, steppe algérienne et tunisienne)

Café-rencontre anthropologique "Ici et là-bas" du mardi 24 janvier 2017, organisé à la Librairie DIALOGUES de Brest dans le cadre de l'association Brest-Maroc entre 2 Rives (BM2R) : https://www.facebook.com/BM2R.brestmaroc/?ref=bookmarks

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"Il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les villes et les rues" disait Francis Picabia .. Lamartine -curieusement- disait quant à lui "Il n'y a pas d'homme plus complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie" ... J'aime aussi, entre autres, ce proverbe tsigane qui dit " Tuer le nomadisme c’est tuer la part de rêve où toute société va puiser son besoin de renouveau".
Et Dieu sait si les sociétés des 2 rives ont un besoin urgent de renouveau par les temps qui courent ...

 

Café ici et là-bas_page_programme_Dialogues_Vdéf

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=> Accès au pdf du powerpoint support du café rencontre :

https://www.dropbox.com/s/9izpxnyx61iry6o/PPT_Comment_devenir_sedentaire_en_restant_nomade_V3d%C3%A9f_augmentee.pdf?dl=0

 

Page titre PPT Sédentaire Nomade

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LECTURES PREALABLES DE REFERENCE ...

Le Projet de Développement des Parcours et de l’Elevage dans l’Oriental :

Un projet ambitieux, en vraie grandeur sociale et institutionnelle au départ, et comment faire semblant de rester nomade à l’arrivée …

Ce projet d'envergure territoriales, sociale et institutionnelle avait démarré en 1990. Il concernait six communes rurales et cinq grandes collectivités ethniques des hauts-plateaux (Dahara) et du présaharien (Sahara) de la région de l'Oriental an Maroc, occupant quelque 3.2. millions d'hectares). La population totale de la zone du projet était estimée a 76 800 habitants en 1988 dont 62 % classés comme population rurale (8 500 foyers-éleveurs environ). Les objectifs fondamentaux du projet au départ lui donnaient toutes ses dimensions de projet de développement et non pas simplement de projet d'aménagement, a savoir : améliorer les revenus des populations pastorales, lutter contre la pauvreté et les disparités sociales, freiner 1'exode rural, restaurer et mettre en valeur le patrimoine pastoral naturel, améliorer la condition de la femme pastorale et diversifier les sources de revenu des foyers, améliorer le cadre de vie général des populations pastorales. La cheville ouvrière pour la programmation, la réalisation et l'organisation du projet fut basée sur la mise en place de coopératives pastorales, de gestion de 1'espace et de services, constituées et fonctionnant sur la base d'affinités ethniques, sociales et administratives (fractions administratives ou sous-fractions tribales ou groupes ethno-lignagers). A terme cette organisation coopérative volontariste devait déboucher sur une véritable organisation professionnelle de pasteurs, susceptible d'assurer en partie le relais du projet a son issue. Le budget total du projet était estime a 47.7 millions de dollars en 1990 sur 8 ans, ce qui donnait un ratio conséquent de 5 600 US dollars par foyer-éleveur.

Au départ le projet. PDPEO était un projet ambitieux, difficile, a la hauteur du défi du développement pastoral - pour ne pas dire du maintien du pastoralisme steppique - dans le cadre des enjeux de son devenir. Il constituait une première marocaine, maghrébine voire mondiale par ses ambitions et ses dimensions. En 1993 une mission d’évaluation des coopératives pastorales, constatant les détournements des objectifs et de la finalité du projet recommandait, entre autres, l’urgence de l’assainissement des coopératives, une meilleure visibilité des systèmes d’élevage et des modes de gestion sociale des parcours, l’animation et une meilleure gestion participative des coopératives … Ce qui ne fut pas mis en œuvre suffisamment. Le projet fut reconduit en 2002 avec une deuxième tranche de financement. En 2005 lors d’un passage rapide dans la zone du projet force était de constater que le projet avait échoué dans ses objectifs fondamentaux de préservation des parcours naturels et de frein à la désertification, de gestion coopérative collective des parcours, d’améliorations zootechniques, de frein à l’exode rural des petits éleveurs frappés par la sècheresse. Mais il avait en revanche bénéficié largement aux notables gros éleveurs qui en avaient profité pour augmenter leurs troupeaux (certains ayant plusieurs milliers de têtes à eux-seuls), en captant les subventions et les aides au pro rata et contribuer d’autant à dégrader encore plus les parcours collectifs touit en poursuivant leur stratégie d’appropriation de ceux-ci …

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DEFIS OU UTOPIE D’UN PROJET PASTORAL POUR LES ANNEES 2000 ?

La question pastorale a fait, et continue à faire couler beaucoup d'encre au Maroc, notamment depuis le début des années 70[1]. Force est de constater que les réalisations d'aménagement et de développement en vraie grandeur sociale et institutionnelle sur le terrain n'ont pas été à la mesure des discours d’intention, des investissements intellectuels, des "paquets technologiques"[2] et des schémas théoriques élaborés. En effet entre les "projets-papier" ambitieux, caractéristiques des années 70, et les projets-laboratoires caractéristiques des années 80[3], aucune action d'envergure et innovante pour la gestion de l'espace n'a été portée par la base d'une population pastorale et n'a connu de processus de reproduction sociale propre.

Les raisons en sont multiples. Elles participent globalement de la prolongation de la fameuse confrontation historique entre le "mode de vie sédentaire" et le "mode de vie nomade". Bien que vieille de plusieurs millénaires la question reste finalement d'actualité dans les milieux et projets pastoraux, à la nuance près - mais elle est de taille - que les espaces pastoraux deviennent de plus en plus géopolitiquement marginaux et dominés d’une part, et en rupture de cohésion interne d'autre part ; sous les effets disruptifs des modèles "sédentarisant" extérieurs. L'histoire se passe désormais dans les villes et pas sur les parcours. L'opposition entre ces deux modèles sociaux totaux, on pourrait dire de ces deux archétypes sociologiques, a alimenté pendant des siècles la vie et la mort des nations et des civilisations, réglant tout à la fois les rapports de force mais aussi les complémentarités tant internes qu'externes. Ibn Khaldun en fit un élément fondamental d'explication de l'histoire sociale du Maghreb. Après l'avènement du machinisme au XIXème siècle la confrontation entre les deux modèles s'est davantage exprimée- au détriment du modèle pastoral- au niveau de l'affrontement direct et indirect d'idéologies véhiculées et sous-tendues plutôt qu'en matière de confrontation objective de systèmes technologiques. Le déterminisme écologique des systèmes sociaux de l'espace avait été magistralement débouté par Marcel Mauss dès les années 20. Il continue cependant à faire long feu et redore même son blason dans bien des milieux scientifiques où l'on milite pour une post-modernité où la nature devrait l'emporter sur la culture.

 L'idéologie coloniale s'appuyant sur un investissement de l'histoire sociale et de l'anthropologie avait déclaré le nomadisme incompatible avec la civilisation et le progrès (le modèle historique Banu Hilal). Politiquement les grandes tribus pastorales avaient souvent donné du fil à retordre au pouvoir central, avant et pendant l'époque coloniale. Plus récemment les systèmes communistes s'accommodèrent mal du nomadisme et des systèmes pastoraux, plus d'ailleurs pour des raisons de contrôle politico-administratif des populations que pour des objectifs d'égalité sociale (Cf l'expérience des coopératives agricoles et pastorales de la révolution agraire en Algérie par exemple). L'idéologie marxiste avait besoins de masses prolétarisées et sédentarisées dans les villes comme dans les campagnes (la révolution agraire). Quant à l'idéologie portée par le capitalisme libéral, elle est basée entre autres sur le profit, la rentabilité a court terme et la primauté économico-politique de l'individu sur le groupe social à solidarité culturelle : il va sans dire qu'elle est à l'opposé de toute gestion patrimoniale collective des espaces pastoraux et du mode de vie nomade.

D'une façon plus concrète le manque de prise et d’emprise des projets de développement pastoral sur les pratiques sociales et institutionnelles peut ainsi s'expliquer en particulier au niveau :

  • d'un manque de vigueur de la décision politique de relever le défi du pastoralisme dans son environnement économico-politique ;
  • de l'état avancé de dégradation des ressources naturelles et des limites des "paquets technologiques" disponibles dans les espaces pastoraux ;
  • du manque d'intégration de l'économie pastorale dans une économie moderne de marchés et du manque de secteur économique alternatif pour soulager le pastoralisme (problèmes de chômage, de pluriactivité des pasteurs...) ;
  • d'une prise en compte insuffisante de la dimension sociologique du développement pastoral : partir de la réalité des pratiques sociales, élaborer des expérimentations et des stratégies sociales et institutionnelles en vraie grandeur, chercher à rendre compatible nomadisme et modernité... ;
  • de la faiblesse des textes juridiques (confusion, obsolescence par rapport aux pratiques sociales) ;
  • de l'inadéquation de la formation des chercheurs et des développeurs qui reste globalement trop disciplinaire (sciences appliquées) et donc intellectuellement "sédentaire" ;
  • de la nuisance des modèles technologiques et organisationnels d'intervention importés d'ailleurs, à partir de conditions historiques et sociales parfois très éloignées.

Finalement la confrontation modèle sédentaire/modèle pastoral ne s'exerce plus globalement, de système cohérent à système cohérent, mais plutôt par composante et par instance, à l'intérieur de groupes sociaux pastoraux ou agro-pastoraux en transition. Ainsi doit-on mesurer l'état de la confrontation des composantes technico-économiques, des rapports sociaux (larges et rapprochés) et institutionnels, les univers mentaux et des valeurs liées par rapport aux modes d'habitat, de gestion de l'espace et des troupeaux, à l'encadrement technique et administratif... Un même acteur social peut ainsi apparaître tour a tour pasteur ou "sédentarisé" selon le lieu du discours, l’opportunité de la relation sociale, le moment et l'année, l'interlocuteur, le thème considéré...

S'accommoder de la mouvance des attitudes et des comportements, promouvoir l'autogestion d'une géométrie sociale variable à nouvelle rationalité, animer la solidarité et le consensus autour des grands principes, banaliser les conflits internes et les transformer en tensions positives, adapter en permanence les moyens et les programmes: tels sont les grands défis du développement pastoral pour les décideurs, les chercheurs et les développeurs.

Si ces défis ne sont pas relevés par rapport aux enjeux globaux présentés plus haut, le développement pastoral risque fort de tourner court à l'horizon 2000, faute de pasteurs. Parallèlement il faut désormais gérer une autre forme de nomadisme économico- politique autrement plus pesant; celui du secteur informel et des chômeurs[4] des banlieues surpeuplées des grandes villes.


[1]Le constat pourrait valoir pour le Maghreb en général.

[2] Traduction mot à mot de l'anglais "technological package", passé dans le jargon de certains pastoralistes, entre autres « développeurs » et qui est révélateur d'une famille de conceptions de l'aménagement pastoral

[3]L'inventaire exhaustif et le bilan sociologique approfondi restent à faire. On peut citer simplement à titre illustratif :

  • au titre des "projets-papier" : l'étude ERES sur l'Oriental (71-73), l'étude SOMET sur l'aménagement de' la Haute-Tessaout (76-77), l'étude Maroc-Développement sur les Bouhassoussen. Les études-projets "parcours" PNUD/FAO (76-85) ; l'étude SNDE d'aménagement de terrains de parcours (78-80),
  • au titre des projets laboratoires : les périmètres d'amélioration pastorale de l'Arid, d'Ain Beni Mathar, de Tafrata ; le projet pilote d'Aït Zekri (Ouarzazate) visité par le consultant dans le cadre de la mission, etc.

[4] L'enquête nationale permanente sur la population active en milieu urbain pour 1991 donne pour la région de l'Oriental le plus fort taux de chômage de toutes les régions du Maroc soit 21 % contre 17,3 % de moyenne nationale et 12,4 % pour la région du Centre-Sud ou il est le plus faible.

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 => Voir aussi sur ce blog pour plus détails les rapports d'identification/préparation/évaluation :

http://christianpotin.canalblog.com/archives/2012/09/01/24991885.html

http://christianpotin.canalblog.com/albums/maroc_oriental_1988__projet_de_developpement_pastoral__pdpeo_/index.html

 

 

 

 

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  • Etudes, expertises, mentorat, évaluations et aide à la décision en matière de DEVELOPPEMENT AGRICOLE et RURAL, d’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; de GESTION SOCIALE et INSTITUTIONNELLE DES RESSOURCES EN EAU et de L’ENVIRONNEME
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