Açabiya, tribalité et pouvoirs dans l'Atlas marocain - Christian Potin, 1998
Açabiya, tribalité et pouvoirs dans l'Atlas marocain : une approche anthropologico-historique. De la pratique de terrain à la théorie.
par Christian POTIN, Consultant international
(Résumé d'une communication effectuée au Xll° congrès de l'Association Française pour l'Etude du Monde Arabe et Musulman. Lyon 2 et 3 juillet 1998)
Vingt-cinq années d'enquêtes et de tournées de terrain dans les sociétés montagnardes de l'Atlas marocain permettent de dégager des perspectives théoriques qui peuvent être formalisées dans un modèle global heuristique.
L'expérience de terrain touche des archétypes historiques de groupes sédentaires, semitranshumants et transhumants. Il apparaît que ces archétypes ne sont, ni n'ont jamais été, ni figés, ni en voie de liquidation. Ces sociétés sont marquées par la caractéristique de la géométrie variable des morphologies sociales par rapport à l'espace, aux lieux et aux moments. Elles sont en outre en recomposition permanente face à la modernité.
D'un point de vue historique, il s'agit de discerner le temps long et le temps court de la tribalité à travers une histoire du sentiment d'appartenance et des pouvoirs.
D'un point de vue sociologique, il s'agit de décoloniser les discours historiques et de se
distancier par rapport aux idéologies, notamment de la tradition, de la modernité,
fondamentalistes, berbéristes, du panarabisme, de I' écologisme, de l'économie libérale...
D'un point de vue anthropologique, la géométrie variable de la tribalité est analysée à travers une mise en perspective temporelle centre/périphérie, habitus/historicité.
Trois champs interactifs à dominante bi-polaire sont structurants et comportent des variables
lourdes : l'espace et le territoire ; la parenté et l'ethnie ; les affinités-alliances et les
antagonismes socio-politiques. A partir de ces domaines structuraux dualistes, symétriques et d'apparence statique, sont déterminés trois autres champs structuro-fonctionnels, également interactifs, de la production, de la reproduction et de la socialisation, qui se réfèrent au concept des trois capitaux de P. Bourdieu.
Le sentiment d'appartenance et l'identité, individuels et collectifs, les rapports, jeux et enjeux de pouvoirs sont définis à partir de cette double structure ternaire dans des dynamiques centrifuges/centripètes intéressant des variables rapides et lentes, au sens de la théorie des catastrophes de R. Thom. La problématique du changement anthropologique et social apparaît alors se poser en terme d'irréversibilité d'évolution des variables lentes qui restent à discerner au cas par cas.
Cette approche théorique appelle un nouveau questionnement, celui du devenir et de la recomposition de la tribalité dans la ville, à travers l'immigration, et de ses relations avec les nouvelles donnes des institutions et enjeux politiques actuels du Maroc.